Découvert sur le stand cosy et barré de Devolver Digital lors de la Gamescom 2018, le curieux et intriguant Ape Out avait su nous mettre l'eau à la bouche en mélangeant une certaine idée du pop art avec une brutalité bestiale, le tout porté par des percussions en roue libre qui avaient marqué nos esgourdes avides de sensations. Enfin prêt à faire couler le sang sur PC et Switch, le titre de Gabe Cuzzillo paye-t-il au final comptant, ou en monnaie de singe ?
Ape Out, c'est d'abord comme son nom l'indique l'histoire tragiquement banale d'un primate fait prisonnier des hommes, aspirant à recouvrer sa liberté chérie. Par tous les moyens. Ce postulat expéditif suffira pourtant à justifier la trentaine de niveaux qu'il faudra parcourir sans faillir pour réussir à faire triompher l'autre famille d'hominidés. Prenant la forme d'un dual stick shooter en vue aérienne dans lequel il faudrait au contraire jouer le corps-à-corps et repousser physiquement les ennemis, la nouvelle trouvaille de Devolver offre un twist peu commun au genre.
Michel Simiesque
Épuré sur le plan graphique, Ape Out l'est également dans ses mouvements, puisque notre singe devra se contenter de repousser violemment ses ennemis, ou de les agripper en frontal pour ensuite s'en servir de bouclier humain, au sens littéral. C'est donc à la seule force de ses bras qu'il faudra se frayer un chemin à travers des décors horizontaux grouillant d'humains armés jusqu'aux dents, prêts à tout pour vous empêcher de connaître un sort plus enviable. Les règles du jeu sont simples : tout ce qui bouge est une menace à éliminer avec fracas, le danger allant crescendo alors que la difficulté augmente, et que les troufions de base laissent place à des armoires munies de fusil à pompe, ou à quelques dératiseurs officiant au lance-flamme... Ça, et les snipers qui se tiennent parfois en embuscade pour ne vous laisser aucun répit. Guenon de vie.
Inutile d'y aller par quatre chemins : le défi proposé par Ape Out est bien relevé, sinon franchement vénère. Si le chemin menant vers la sortie est toujours clair, le level design rend son découpage plus complexe qu'il n'y parait en exagérant sa perspective, qui fait alors de chaque pan de mur une surface masquant la visibilité environnante, mais aussi un repli bien pratique pour éviter quelques salves de balles meurtrières. Le jeu ouvre progressivement son espace en passant des premiers couloirs anguleux aux open-spaces vitrés, pour finalement proposer des zones plus désertiques qui deviennent de véritables stand de tir pour vos ennemis. Sans déconner, vous allez mourir. Souvent.
Bouche B
Heureusement, les stratégies s'affinent également avec la montée en puissance des humains. La force brutale dont vous disposez vous permet de faire d'une pierre deux coups en éclatant violemment un garde contre un mur grâce à l'un de ses semblables. L'astuce fait évidemment couler le sang jusqu'à la déraison, mais elle s'avère surtout indispensable pour contrer d'autres gusses plus coriaces qui explosent en passant l'arme à gauche. Dans les espaces clos, une détonation est souvent synonyme de mort immédiate. Histoire de bien rager, chaque écran de game over vous retracera le parcours effectué, pour mieux vous rappeler qu'il ne restait plus que quelques mètres avant de boucler un étage. Diabolique. Dans la panique, les gardes saisis peuvent également faire plus que prendre les balles à votre place : quelle que soit leur arme en mains, il tireront sans sommation devant eux, vous offrant ainsi l'occasion de descendre quelques rangs adverses grâce à une mitraillette devenue folle ou un lance-flamme qui vous pétera de toutes façons très vite dans les pattes. Et que les plus exigeants se rassurent : avec un mode arcade supplémentaire et la possibilité de faire grimper la difficulté en flèche, Ape Out en a largement sous la patte pour contenter tout le monde.
La violence est d'ailleurs présente des deux côtés : au fur et à mesure que votre singe encaisse les coups, il laisse derrière lui une traînée de sang qui indique autant son état de santé que la voie à suivre pour les gardes lancés à vos trousses. Mais cette débauche d'hémoglobine participe également à l'enrobage dépouillé d'Ape Out, qui se joue de bon nombre de détails superflus pour préférer les aplats de couleur vifs et tranchants, un cocktail qui fonctionne à merveille et permet quelques folies chromatiques. Cuzzillo n'hésite en effet pas à profiter de situations d'urgence comme le déclenchement d'une alarme pour transformer toutes les couleurs à l'écran en négatif, et transforme le jeu en séquences d'infiltration grâce aux lampe-torches des gardes qui jouent alors le rôle de cône de vision.
Drummer Queen
Impossible de parler d'Ape Out sans en placer une (voire bien plus) pour le sound design si original : sciemment dépourvu de bande-son à proprement parler, c'est une "simple" batterie d'une expressivité folle qui habillera de ses fûts l'espace sonore. Pensé par le cerveau en ébullition de Matt Boch, le sound design laisse donc tout l'espace disponible à cet instrument qui parvient ici à conférer une identité forte à ce déferlement de violence visuelle, en jouant sur la hauteur des différents toms, allant jusqu'à donner vie à des mélodies jazz improbables, chapeau l'artiste.
Dès les premières secondes, l'installation du batteur et sa routine d'échauffement se synchronisent dans un rythme décousu avec les crédits d'Ape Out, pour ensuite s'adapter à l'intensité de l'action d'une fort belle manière. D'abord éloignée et discrète quand les couloirs demeurent déserts, la moindre exécution s'accompagne d'un violent coup de cymbale, prélude systématique à une séquence rythmique qui accélère le cardiogramme et vos chances d'y passer. Le pari était osé, mais au vu du résultat, il faudrait être hermétiquement rétif au concept pour bouder son plaisir, et l'on s'incline volontiers devant l'incroyable variété de timbres, de styles de jeu, de rythmiques et de trouvailles que l'on doit à l'ingéniosité d'un ingé son bien inspiré, qui aura en plus laissé suffisamment de vide dans l'enregistrement pour faire résonner cet instrument comme rarement. À ce stade, inutile a priori de vous préciser que le port du casque est rigoureusement o-bli-ga-toi-re.